Tint Tun 1
Technicien en perliculture et biologiste spécialisé en huîtres perlières
Cette communication a été présentée à Myanmar Pearl Enterprise2 en juillet 2000

Introduction

La perliculture est une forme d’aquaculture. De la coopération entre humains et mollusques aquatiques bivalves naissent de précieuses gemmes : les perles. Il arrive parfois que les huîtres perlières meurent en masse. Ce phénomène peut devenir un véritable fléau et pousser l’industrie perlière au bord du gouffre.

Au Myanmar, les huîtres perlières connaissaient des taux de mortalité anormalement élevés depuis 1983. Une étude a permis de déceler la bactérie (Vibrio) responsable de ce phénomène.

L’objet de cette communication est de présenter des informations relatives aux cas de mortalité massive chez les huîtres perlières et d’en répertorier et décrire les causes et les symptômes. J’y propose également certaines suggestions basées sur des travaux existants et mon expérience personnelle.

Le phénomène de mortalité massive

Une mortalité massive a pu être observée en 1969-70 dans les fermes perlières de Port Moresby (Papouasie- Nouvelle-Guinée) et à Kuri Bay et Smith’s Harbour (Australie). Dans de nombreux cas, tous les individus ont succombé et à plusieurs reprises, sur une cage de dix huîtres, seule une a survécu (George, 1992).

À l’époque, le taux de mortalité moyen de l’huître perlière Pinctada maxima s’élevait à environ 80 pour cent, alors que l’Australie enregistrait depuis 1974 des taux oscillant plutôt entre 30 et 60 pour cent. Cette tendance s’est maintenue pendant plus de dix ans et une étude étalée sur trois ans (1980-1983) a été menée afin de déterminer les causes de mortalité des huîtres. Les chercheurs conclurent que c’était les conditions d’acheminement des huîtres de la zone de récolte aux sites d’élevage, sur un bateau pendant 37 heures environ, qui était à l’origine du phénomène. Au cours de périodes de récolte prolongées, les huîtres ramassées étaient conservées à bord pendant une période maximale de quatre à cinq jours. Elles étaient ensuite transportées en grand nombre sur des navires de pêche, dans des conteneurs où leur forte densité ne permettait pas une circulation d’eau suffisante et favorisait l’accumulation de bactéries. Il fut découvert par la suite que l’une d’entre elles, Vibrio harveyi, était responsable de la mortalité massive observée dans les containers (Dybdahl et Pass, 1985).

Des taux de mortalité élevés, de 30 à 85 pour cent selon la ferme et le lieu, furent relevés dans la plupart des régions d’Indonésie en 1992-1994, mais non dans toutes. Ce phénomène résultait sans doute des caprices du climat qui modifièrent la circulation d’air et les courants marins, jouant à leur tour sur la température et la concentration de plancton (Anonyme I, 1994).

En 1985-86, on observa des taux de mortalité anormalement élevés chez les nacres d’élevage et les nacres naturelles dans les fermes perlières de Takapoto, en Polynésie française. Au plus fort de la maladie, les fermes d’élevage de naissains et d’huîtres greffées subirent des pertes de 50 à 80 pour cent de leurs stocks (Intes, 1995b).

Le secteur de production de la perle Akoya en Chine connut également une période de mortalité accrue. De nombreux perliculteurs découvrirent que, même après quatre ou cinq mois de culture, pas une seule couche de nacre ne recouvrait le nucleus. Cet incroyable phénomène s’expliqua principalement par le fait que les nuclei blanchis de fabrication chinoise ou vietnamienne étaient d’emblée rejetés par les huîtres ou ne déclenchaient aucune sécrétion de nacre. De plus, la plupart des huîtres périrent (Anonyme II, 1994).

Au Japon, la mortalité des huîtres, déjà élevée depuis une dizaine d’années, s’accentua très fortement en 1996 et 1997, provoquant la mort de 150 millions de nacres Akoya (Canedy, 1998). Les taux de mortalité moyens oscillèrent d’une localité à l’autre entre 25 et 60 pour cent (Anonyme, 1998).

Les causes du phénomène

Le tableau 1 dresse la liste de douze causes (par ordre alphabétique) de mortalité accrue chez les huîtres perlières répertoriées dans les publications consacrées à leur étude.

Les symptômes

L’affaiblissement du métabolisme des huîtres perlières infectées ou moribondes se traduit par de nombreux symptômes. La présence d’un ou de plusieurs des 16 symptômes figurant dans le tableau suivant indique que l’huître est en mauvais état de santé.

Il arrive que l’huître parvienne à se remettre de la maladie. Une zone de démarcation très nette sur les valves indique que l’huître à été infectée mais qu’elle a survécu à la maladie.

Discussion

Les maladies infectieuses constituent un frein au développement de l’aquaculture des invertébrés marins. En temps normal, les huîtres supportent le stress provoqué par des causes naturelles ainsi qu’une manipulation modérée mais elles sont particulièrement vulnérables aux maladies. Cependant, l’étiologie des maladies des huîtres perlières est mal connue et les références disponibles en la matière sont peu nombreuses. Les chercheurs peuvent néanmoins se réjouir : des examens bruts et histopathologiques ont permis de rassembler des données de référence sur l’occurrence et la prévalence des pathogènes éventuels, qui permettront de diagnostiquer le caractère infectieux ou non des maladies de Pinctada maxima (Humphrey et al., 1999).

Outre les facteurs biologiques, des paramètres physiques et chimiques peuvent également provoquer de graves problèmes chez les huîtres perlières. On peut citer notamment la baisse de la salinité, l’élévation de la température de l’eau, les marées froides, les marées rouges, le sulfure d’hydrogène et la pollution provoquée par le rejet de déchets ménagers et industriels (Mizumoto, 1979; Anonyme I, 1994).

Les catastrophes naturelles tels que les ouragans, les séismes et les raz de marée (“tsunamis”) sont également à prendre en compte (McCormick, 1966). À la fin de 1992 et au début de 1993, six ouragans se sont abattus sur l’archipel des Tuamotu, ravageant la plupart des hauts fonds et des fermes perlières (Intes, 1995a). Les fermes indonésiennes ont subi de plein fouet les séismes et les “tsunamis” de 1992 et les huîtres sont tombées malades ou sont devenues trop faibles pour subir une greffe (Anonyme I, 1994). À l’heure actuelle, afin d’améliorer le taux de survie des huîtres perlières après l’implantation du nucleus, ceux qui sont fabriqués au Japon et aux États-Unis sont recouverts d’un enduit antibiotique. Ce procédé a permis d’obtenir de bons résultats (Akiyama et al., 1998; Anonyme, 1999).

George (1992) s’est intéressé au phénomène de la mortalité massive. D’après lui, la mort des huîtres perlières est un phénomène récurrent dans le secteur perlicole japonais depuis 1960 ainsi que dans toutes les fermes perlières des mers du Sud établies en collaboration avec des spécialistes nippons. George (idem) avance que les techniciens japonais qui se rendent d’un lieu d’élevage à l’autre sont en fait porteurs de l’agent ou des agents responsables de la mort des huîtres. Les risques liés aux déplacements fréquents des techniciens et de leurs instruments entre différents pays et d’une région à l’autre font maintenant l’objet d’une attention particulière (Aquilina, 1999).

Le nettoyage et la stérilisation de chaque instrument utilisé dans le cadre des greffes sont maintenant des précautions indispensables et devraient être systématiques avant et après chaque déplacement. Il n’existe pas encore de preuves concrètes venant à l’appui de la thèse de George mais il paraît parfaitement sensé de stériliser les instruments utilisés dans le cadre d’opérations délicates sur des huîtres en plus ou moins bonne santé.

Les taux de mortalité élevés dû au confinement pendant le transport peuvent être atténués en améliorant la meilleure circulation de l’eau, une diminution de la densité d’individus par conteneur et une amélioration de l’hygiène dans les fermes et au cours du transport et enfin, en excluant tout transport au cours des mois les plus froids de l’année (Pass et al., 1987).

Le transport des huîtres perlières vers des zones dépourvues de colonies importantes évoluant en milieu naturel a peut être entraîné l’apparition et la propagation de maladies, parasites et prédateurs présents sur les coquilles. Il faut éviter toute introduction d’huîtres issues de zones infectées dans d’autres lieux ainsi que d’individus issus d’une zone touchée par une catastrophe naturelle telle qu’un cyclone et potentiellement affaiblis.

Braley et al. (1993) ont signalé que les huîtres atteintes d’une maladie “inconnue” pouvaient sembler parfaitement saines mais, en l’espace de deux ou trois jours seulement, se transformer en une coquille béante et un tas de tissus mous nécrosés. Il est donc relativement difficile d’affirmer avec certitude qu’un stock est exempt de toute maladie.

Sauf dans des cas évidents (par exemple, les “tsunamis”), les agents responsables ne sont généralement pas identifiables. M. Koichi Takahashi, vice président adjoint de la société Mikimo (Amérique) déclarait, à propos de la mortalité massive qui s’est produite en 1996-97 au Japon : “toutes les hypothèses sont envisagées et il est extrêmement difficile de déterminer quelle est la cause principale du phénomène” (Canedy, 1998).

Il est essentiel de mieux comprendre l’écosystème des huîtres perlières afin de pouvoir déceler tout changement anormal. La gestion du nombre d’huîtres élevées dans chaque ferme, l’espacement entre les individus, les opérations d’entretien, les restrictions en matière de transport des stocks et la surveillance des conditions hydrologiques peuvent contribuer à la bonne santé d’une ferme perlière. Les échanges de masse d’eau dans les lagons clos et semi-clos, les lagons ouverts, les baies et estuaires, les côtes abritées et au vent sont de plus en plus importants et le risque que la qualité de l’eau soit affectée par une perturbation quelconque diminue d’autant (Anderson, 1998).

Suggestions

Sur la base de mon expérience personnelle et après consultation des documents de référence disponibles, j’ai pu formuler un certain nombre de suggestions qui figurent dans le tableau 3 (voir page suivante).

Remerciements

Je tiens à remercier U Mange Toe, administrateur et U Khin Nyunt, directeur général de Myanmar Pearl Enterprise de leurs encouragements. Je suis également très reconnaissant à M. Neil A. Sims, M. Martin Coereli et M. Rand Dybdahl des références bibliographiques que ces derniers ont bien voulu me fournir.

Tableau 1 : Causes de mortalité accrue chez les huîtres perlières

Causes

1. Bactérie(s)
2. Changement climatique
3. Mauvaise gestion de la ferme
4. Biosalissures
5. Catastrophes naturelles (“tsunami” (raz de marée), séisme, etc. )
6. Nucleus
7. Parasites
8. Pollution
9. Prédateurs
10. Marée rouge
11. Manipulation brutale
12. Virus


Tableau 2 : symptômes d’un affaiblissement de l’état physiologique des huîtres perlières

Symptômes

1. Le muscle adducteur tire sur le rouge ou le marron
2. Le temps de réaction du muscle adducteur s’allonge lorsque l’on stimule le bord du manteau
3. La masse viscérale devient molle, vitreuse et prend un aspect aqueux
4. Les sécrétions des muqueuses augmentent
5. Les lobes du manteau présentent une malformation
6. La partie externe du manteau est nécrosé
7. De la matière organique amorphe et lourde est secrétée principalement à la périphérie nacrée des valves
8. Une matière brunâtre se dépose à l’intérieur des valves de la coquille
9. La coquille croit en vrille ou de façon irrégulière
10. La croissance s’interrompt temporairement ou définitivement
11. Le ventricule est enflé ou gorgé de sang
12. Le rectum est enflé
13. La croissance de l’huître est stoppée et l’animal finit par mourir dans la majeure partie des cas
14. Les facultés de reproduction disparaissent ou sont considérablement altérées
15. Le mécanisme de nutrition par stylet cristallin est moins sollicité et la quantité d’excréments diminue
16. La faculté de l’huître à produire une perle est profondément altérée et le carbonate de calcium secrété est de la calcite et non plus de l’aragonite.

Tableau 3 : Suggestions en matière de gestion de fermes perlières


Huître perlière

1 Accorder une attention particulière à toute mort suspecte d’huîtres perlières

Déceler le plus tôt possible le premier cas d’une éventuelle série

2 Détecter toute anomalie sur la coquille ou la masse viscérale

Déceler la présence de problèmes pouvant entraîner une mortalité élevée

3 Ne pas transporter d’huîtres d’une ferme à une autre

Prévenir la propagation de maladies

Zone d’élevage

1 Placer les rangées d’huîtres au fond de l’eau dans le sens du courant

Améliorer la circulation d’eau entre les rangées d’huîtres sur le fond de la mer et entre les deux valves (coquilles) de chaque individu

2 Ménager un espace important entre les rangées d’huîtres

Assurer une bonne hygiène et un approvisionnement en nourriture suffisant

3 Stocker les biosalissures à une certaine distance de la zone où sont placées les rangées d’huîtres

Éviter l’accumulation de biosalissures et de matière morte inutile dans les zones de cultures

4 Détecter toute quantité anormale de prédateurs

Connaître le taux de prédation probable sur les huîtres perlières d’élevage

Greffe

1 Stériliser régulièrement les instruments servant à réaliser les greffes (y compris les gants)

Éviter toute infection par le biais des instruments

2 Stériliser les instruments utilisés par un technicien amené à se rendre dans plusieurs fermes, avant et après son déplacement

Éviter la propagation d’agents responsables de maladies par les techniciens

3 Ne pas jeter la chair des huîtres infectées dans la mer mais l’enterrer dans le sol

Prévenir l’infection d’autres huîtres

Autres

1 Limiter le nombre de séparations dans chaque cage à huître à cinq, de façon à placer dix huîtres par cage

Réduire les substrats propices à l’installation de biosalissures et, de ce fait, réduire leur concurrence

2 Éviter toute manipulation brutale

Réduire le stress infligé aux huîtres perlières, particulièrement aux huîtres infectées

3 Vérifier de façon régulière les conditions hydrologiques régnant dans la zone d’élevage

Détecter tout changement dans l’environnement des huîtres

4 Étudier et analyser des situations passées

Déterminer des faits marquants qui peuvent contribuer à la détection précoce de tout changement